Article paru dans La Liberté le samedi 10 juillet 2004.
Parler du couple et surtout de son intimité sexuelle relève encore du tabou dans le monde arabo-musulman. Si les hommes se cantonnent généralement à des vantardises un peu convenues au sujet de leurs prouesses sexuelles, les femmes feignent longtemps la virginité et cachent leurs éventuelles expériences derrière une pudibonderie obligée. En auteur confirmé, Rachid El-Daïf a osé lancer un cri contre cette immaturité hypocrite, en publiant Qu’elle aille au diable, Meryl Streep!
Ce livre n’a pas laissé les lecteurs du monde arabe indifférents. De Rabat à Damas, le livre a connu un succès inattendu et croissant. Auprès des jeunes femmes arabes, l’écrivain libanais est même devenu une sorte d’«idole», certaines n’hésitant pas à le comparer au grand auteur égyptien, Naguib Mahfouz, tant il a su retranscrire une réalité enfouie mais symbolique de son temps. Dans son ouvrage, l’auteur parle donc avec une impudeur bien soupesée et parfois même volontairement pesante, de la sexualité d’un couple, telle qu’elle peut se vivre aujourd’hui dans le monde arabe. Au lendemain de leur mariage, un homme et une femme vont découvrir leur sexualité ou plutôt se la cacher l’un à l’autre et accumuler les malentendus. Figé dans son rôle ancestral de mâle dominateur, l’homme «arabe» s’y révèle possessif, suspicieux, désireux de tout contrôler, mais incapable d’accepter sa femme telle qu’elle est réellement; de son côté, la jeune épouse, élevée dans un univers plus urbain et plus occidentalisé, va tenter avec un certain dédain de se soumettre aux exigences de son «archaïque» mari, en prétendant à une virginité qui l’a quittée depuis longtemps.
Une fois refermé, le livre laisse le sentiment d’une grande impuissance masculine et surtout d’une frustration commune. Pour l’auteur, c’est cette frustration secrète qui est à la source de la violence que le monde arabo-musulman connaît aujourd’hui.
Rachid El-Daïf, Qu’elle aille au diable, Meryl Streep!, tr. par Edgard Weber, Ed. Actes Sud, 172 pages.
Laurence D’Hondt