«Sur la grand-place de Zghorta, samedi, peu après midi, monsieur Hamad E.D., soixante ans environ, a trouvé la mort à la suite d’une vengeance entre familles rivales.» C’est par le journal et par hasard, dans un café à Beyrouth, que le narrateur apprend la mort de son père. Quoi! Son paternel assassiné, et on ne l’a même pas prévenu! D’accord, Rachid Hamad n’habite plus depuis longtemps le bled. C’est un Libanais de son temps qui a fait des études à l’étranger et enseigne aujourd’hui à l’université. Divorcé serein, il fréquente une femme divorcée et n’a d’autre souci que de se mettre à la page et de maîtriser l’anglais. Il a même arrêté de fumer: «une attitude vraiment moderne». Mais de là à être tenu à l’écart des funérailles de son père!
Cette mort brutale et le silence familial qui s’ensuit remettent en cause sa tranquillité et ravivent les plaies anciennes. Car, des cadavres, il y en a non seulement sur la grand-place de Zghorta, mais aussi plein les placards. Au sens propre comme au sens figuré. Hamad père qui avait épousé une dame qu’il n’aimait pas était une sorte de caïd local qui spéculait, trafiquait, courait les femmes et liquidait ses rivaux. L’exercice apparemment narcissique d’autofiction évolue bientôt vers la douloureuse confession des rapports de haine qu’ont entretenus les parents d’un homme pris dans les rets de sentiments contradictoires. Les violences subies par sa mère, sa liaison clandestine et son amour véritable pour son amant de jeunesse, les soupçons de bâtardise qui planent sur lui… tant de choses qui ont façonné la personnalité du narrateur et, particulièrement, son utopie de la communication. Afin d’y parvenir, il apprend l’anglais, la langue internationale. Comme si la confusion des sentiments n’était due qu’à la confusion des langues.
par Sean James Rose dans Lire, mars 2002